Marthe

Publié le par Ateliers de traverse 14

  Création d'un espace temps à partir d'une photo de personnage

 

« Maman, maman, tu m'entends, ça fait combien de temps que tu es là ? Est-ce qu'il va bien, il va s'en remettre cette fois ? »

C'était Simon, son fils qui lui posait toutes ces questions en rafale. Il devait avoir une bonne vingtaine d'année et était habillé d'un tee-shirt rouge à manches courtes et d'un jeans usé, ses cheveux étaient longs et sales.

Marthe le regarda de bas en haut comme si c'était un étranger. Il a grandi pensa-t-elle, mais pas grossi. « T'as pas froid comme ça ? » lui demanda-t-elle. C'était les seuls mots qui lui étaient venus à l'esprit. Il faut dire qu'il ne faisait pas très chaud dehors, nous étions en plein mois de décembre et la neige avait commencé à tomber en gros paquets dès le matin. Une neige épaisse qui colle aux semelles et qui pénètre même les vêtements les plus épais.

« Alors maman, est-ce qu'il va s'en sortir ? Tu as vu un médecin ? »

Bien sûr qu'elle avait vu un médecin. Un grand avec des petites lunettes rondes et une blouse blanche où était accroché un badge avec son nom - Docteur Roger Vaillant. Elle avait même réussi à sourire en apercevant ce nom, Vaillant pour un médecin, ça ne s'inventait pas. Et puis elle avait aussi croisé deux infirmières très gentilles. Elle se dit que les infirmières avaient toujours été gentilles avec elle, pas comme ce docteur qui lui avait juste adressé la parole pour la culpabiliser de ne pas avoir emmené son mari plus tôt à l’hôpital.

Mais comment aurait-elle bien pu faire pour prévenir plus rapidement les urgences. Elle était encore à moitié ivre quand elle l'avait retrouvé pendu dans le garage, accroché comme d'habitude aux armatures métalliques de la charpente. C'était la troisième fois en un an qu'il essayait de se pendre et il s'arrangeait toujours pour passer à l'acte quand elle, elle avait trop bu. Pourtant, elle aurait dû se douter quand il lui avait dit à son réveil : « Tu sais Marthe, j'crois que j'vais pas finir la journée ». Et puis il s'était levé et s'était assis dans la cuisine et avait débouché une première bouteille de vin rouge étoilé. « Et Marthe, tu  rappliques ! avait-il crié, tu vas quand même pas me laisser boire tout seul ». Alors elle s'était elle aussi levée, et ensemble ils avaient commencé à boire de ce mauvais vin dans les verres en pyrex aux dessins géométriques. J'aurais du me méfier se répétait-elle, il m'a laissé me saouler pour être tranquille comme à chaque fois.  

L'ambulance était arrivée cinq minutes après son appel. En attendant, elle avait quand même réussi à allonger son Albert sur le sol en ciment du garage et avait posé sous sa tête violette un chiffon gras qui traînait sur l'établi. Et puis avant de partir, elle avait juste eu le temps d’enfiler son vieux manteau en laine épaisse, elle regrettait de pas avoir mis son fichu sur ses cheveux, au moins il aurait caché son chignon mal fait.  

Cela faisait maintenant trois heures qu'elle patientait dans le couloir du service de réanimation. Elle restait là sans rien dire, sans même la force de parler avec le personnel soignant, en fait elle cuvait son mauvais vin. Et voilà Simon qui vient lui poser des questions inutiles sur son père, enfin sur celui qu'il croit être son père.

« Madame Mercier, madame Mercier, le docteur va vous recevoir, si vous voulez bien venir avec moi » C'est une infirmière qui la tira de sa torpeur. « Et vous jeune homme, vous êtes sans doute le fils, vous pouvez venir aussi si vous voulez »

Simon répondit qu'il n'avait pas le temps, qu'il repasserait en fin de journée. Il embrassa sa mère rapidement sans prononcer un mot et fila d'un pas pressé vers la sortie. 

Marthe accompagna l'infirmière jusqu’au bureau du docteur. L'endroit était sombre avec d'épais rideaux qui recouvraient les larges baies à petits carreaux. Aux murs étaient accrochées quelques scènes de chasse à cour qui sied si bien au cabinet de consultation médicale, comme si ce genre de gravure pouvait prétendre à un quelconque effet thérapeutique.

« Asseyez-vous » déclara d'un ton sec le médecin. « Bon, il a encore eu de la chance, il est tiré d'affaire. Mais, car il y a un mais cette fois, le cerveau de votre mari est resté trop longtemps sans être irrigué et pour ne rien vous cacher, il y a un fort risque de paralysie des membres supérieurs en particulier de ses bras et de ses mains ».  

Elle resta de marbre en pensant que maintenant au moins elle pourrait boire autant qu'elle le souhaiterait sans avoir la hantise d'être obligée de le décrocher de sa corde. Elle avait horreur d'aller dans le garage, il était rempli d’araignées.

 

Nouvelle de Christophe LAVENTURE

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