Je suis Rouen

Publié le par Ateliers de traverse 14

Je suis Rouen, je ne suis pas Rouen le gueuloir, je ne suis pas Rouen les ossuaires. Je suis l’Exocet, je suis La Cascade. Je ne suis pas Rouen l’extrême onction de mes os à l’héro, je ne suis pas Rouen la chasse à baise humide dans les bois sombres. Je suis la petite Carmélite,  je suis les rouleaux vapeur pour pas chers, pas loin du bar des Fleurs, je suis l’ondulation de Salomé, je suis la jeunesse et l’apprentissage.

Je ne suis pas le cimetière charnier, je suis le poumon, je ne suis pas la putréfaction, je suis l’activité. Je suis la lucarne pour accéder, je suis les crânes gravés dans les sablières et les potelets. Celui-là est menaçant, celui-là a des pommettes saillantes, celui-là a une fente à la place de la bouche. Je ne suis pas la peste noire, je ne suis pas le bubon sur la cuisse de Saint-Roch, je suis Rouen.

Je suis… Alina dans un coeur à la craie …. Je suis « Street fighter », je suis le bleu méthylène qui dégueule de la gouttière sur les gravillons. Je suis Rouen dans l’Aître, Rouen dans le non-être. Je suis celui qui « a la couille dure comme le fer ». « Je suis un infirme ». Je suis la danse macabre en plein soleil, je suis la merde décomposée sur laquelle viennent se poser les mouches, la pelle pour le charnier,  je suis un infirme sous les serpents entrelacés.

Je ne suis pas Rouen la pénitence. Je ne suis pas Rouen le battoir. Je ne suis pas Rouen l’éternité. Je suis Rouen comme une épée, un fer à cheval, un livre ouvert, un bassinet. Je suis Rouen comme un lit pour 6 personnes. Celui-là semble bienveillant, celui-là à la mâchoire ouverte en deux, celui-là est improbable comme un jour d’avril. Je suis Rouen dans ses instruments, dans sa récolte. Je ne suis pas Rouen dans sa cour carrée, dans ses drapés sans tête, dans ses fascines asexuées.

Je suis le périmètre gravillonné, je suis l’espace où les couples vont par deux sans se toucher. Je suis le crissement caractéristique de Saint-Maclou, mica, ardoise et verre pilés, je suis la maudite cadence sur la terre en décomposition. Je suis le nodule sur l’écorce, la rémanence sur la croix meurtrie. Celui-là a la gueule noire comme un four. Celui-là a encore ses dents sagement rangées mais presque plus rien autour. Celui-là est un homme, celui-là est une femme, celui-là est un enfant avec son bonnet.

Je ne suis pas Rouen la Charrette, je ne suis pas Rouen qui rappelle au ciel, je ne suis pas Rouen. Je suis Rouen dans la cour fermée, je suis les couples silencieux qui marchent sans se toucher. Je suis le charme en plein essor dans le cloître arthritique, le frottement, le grattement des pinceaux dans l’aile sud, je suis les murs, le poids des morts près du Christ en bronze vert. Celui-là te ressemble. Celui-là me ressemble. Je suis Rouen.

Isabelle Vincent

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